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Impressions de guerre d'une paetite fille heureuse

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Impressions de guerre

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Doryphores et pommes de terre

Les inondations

Les inondations

La Marne entre La Ferté-sous-Jouarre et le sympathique petit village de Reuil-en-Brie est une rivière calme où les enfants peuvent patauger sans problème. Ses rives sont bordées de collines boisées. Une seule découpe, le cimetière de La Ferté qui rompt ces douces frondaisons. On entend parfois le poussif train à vapeur. Mais à peine devine-t-on de loin en loin, la ligne de chemin de fer, à mi-pentes au-dessus des berges paisibles. La route qui enjambe le grand pont vire à angle droit, longe étroitement la Marne et traverse le village de Reuil. Cette route de campagne est bordée de tilleuls. Le cantonnier entretient avec soin les talus qui servent de trottoirs.

La rivière ! Tout le monde aime la rivière ! Ayant passé son enfance à barboter dans le Cher, mon Grand-Père nage très bien. Dans la famille on raconte qu'avant la guerre, il faisait des concours avec ses gendres. Le crawl, la brasse papillon n'avaient pas de secret pour eux. Mes cousines et mon petit frère sont aussi des adeptes de l'eau. Ils font des allers et retours d'une berge à l'autre jusqu'à l'épuisement. Ma tante et moi, qui n'avons pas un amour débordant pour l'immersion, préférons laver le linge dans la rivière. Un jour ma tante qui aime rincer abondamment, lâche ma chemise de nuit à fleurs. Celle-ci flotte quelque temps, est très vite emportée par le courant puis coule et personne ne peut la rattraper. Dommage, je l'aimais bien !

La Marne c'est aussi le pique-nique face à une eau claire et limpide où l'on aperçoit de petits poissons qui semblent s'amuser sans souci. Ils ignorent le danger car la pêche est interdite à cet endroit.

En tournant le dos à la ville pour se rendre au village une large bande de terre rigoureusement plate sépare la route du lit de la rivière. Aucune maison, aucune construction sur ce sol où croit une courte végétation. A l'entrée du village, seul un terrain de football anime cette étendue. Tous les villageois sont fiers de posséder un terrain de foot aussi beau et le dimanche on s'y bat avec acharnement.

De l'autre côté de la route, face au terrain de foot, une colline pentue où paissent les vaches. On arrive enfin au village. Immédiatement après la pancarte, le château et son parc forment un ensemble sombre et merveilleusement mystérieux d'arbres centenaires courbés et touffus. Cinquante ans plus tard la colline s'est couverte de belles maisons et mon petit frère, toujours sentimental, y a fait construire un petit bijou : C'est la résidence du Parc. Le château délabré a aussi perdu son mystère ; à moins que ce soit ma tête de petite fille, trop nourrie de contes de fées qui m'ait induite en erreurs...

Face à l'imposant portail et à la lourde porte cochère du château, le pâtis. A l'origine, comme chacun le sait, le pâtis était un terrain communal où les plus pauvres pouvaient venir faire paître leurs bêtes. Puis c'est devenu une sorte de jardin public. Que j'aime ce carré tranquille ! Sous les tilleuls, des bancs de bois permettent aux vieilles dames de tricoter en faisant la causette. Les enfants peuvent y courir et jouer aux quatre coins sans problème. Les messieurs âgés viennent y discuter avec ardeur de politique et de récoltes. A part le café où l'on " tape un carton " en buvant un infâme Viandox bouillant, le pâtis est un lieu de détente et de rencontre... Sont adjacents au pâtis, le jardin de l'institutrice puis l'école-mairie. Celle-ci est construite en pierres et surélevée par quelques marches.

Et en ce jour, qui ressemble vraiment à tous les autres, on voit venir à nous, gentiment, calmement, La Marne. Elle a décidé de voir de près ce terrain de foot où les hommes s'agitent tant. La curiosité la pousse même à se balader sur la route. Fort civilement nous allons à sa rencontre, curieux nous aussi de la mieux connaître. Tout le village se trouve ainsi à la hauteur de la plaque minéralogique. Elle avance lentement, inexorablement et vient regarder l'école. Elle est tentée d'investir ce beau bâtiment républicain. Elle souhaite conquérir tout le village. Mais elle songe aux quarante-deux enfants de trois à quatorze ans et à leur vieille et dynamique institutrice. Cela la contrarie beaucoup et elle reste là plantée, sans avancer, sans reculer, pendant des jours ne se décidant toujours pas à agir. Les gens s'habituent à sa présence. Ils s'en accommodent.

Maman grimpe puis longe la colline aux vaches. Elle s'en va en ville faire les courses en regardant la Marne qui brille sur la route. En ville la situation est préoccupante. Tous les bas quartiers sont inondés. Deux magnifiques demeures dont l'hôtel de Condé sont envahies par les eaux charriant des détritus et des arbres entiers. Le marchand de vaisselle fine, nommé Desplats, n'a plus de vitrine et une fange brunâtre a recouvert cristaux et porcelaine. Les canalisations d'eau potable sont détériorées par endroits et les gens marchent dans tous les sens avec des seaux. Il faut aussi vérifier le gaz de ville car l'odeur se répand, prouvant la présence de fuites. On est loin de la vie bucolique de Reuil, où la Marne ne représente qu'un sujet de distraction. Très vite l'entraide s'organise entre gens des collines protégés et gens du Faubourg, touchés par les inondations. Le boulanger ne peut faire de pain, le bétail destiné aux abattoirs n'est pas arrivé. Il paraît que plus on se rapproche de Paris plus la situation est catastrophique. A Meaux et à Lagny la population est prise de panique ; et pourtant disent les habitants de Reuil, ils en ont l'habitude.

La Marne nous procure une joie un peu trouble, celle de poser une main pas du tout innocente sur la route, juste à la limite de l'eau. C'est interdit par les Parents à cause des Microbes énormes et des Maladies terribles. Mais quoi, juste un peu pour voir si c'est froid !

Monsieur Noiret, jeune et audacieux décide que ce n'est pas La Marne qui va l'arrêter. Chaque matin, en temps normal, il se rend en voiture à la scierie qu'il possède avec son frère. Puisque La Marne prétend l'en empêcher il ira en barque, c'est décidé. Sa femme essaie de le retenir. Ce qu'elle craint pour son mari, c'est l'imprévu, les branches, les troncs d'arbres, les bateaux coulés, tout ce que cette rivière gonflée par les pluies, charrie. Il n'écoute rien. Habillé comme pour jouer au golf, il passe en barque sans accrocs par-dessus le grillage du terrain de foot, évitant les piquets de bois et disparaît derrière les arbres. Il aura, paraît-il, quelques ennuis sous les deux ponts de La Ferté. Il continuera encore à ramer et à ramer jusqu'à la sortie de la ville. A la tombée de la nuit, appelant sa femme par téléphone il avouera avoir eu peur à maintes reprises. C'est pourquoi il a accepté l'offre de sa belle-sœur de rester jusqu'au lendemain.

La Marne n'endommagea pas notre école mais l'inondation resta suffisamment longtemps pour qu'on s'en souvienne cinquante ans plus tard... Il est vrai qu'à la sortie de quatre heures nos grosses galoches à semelles de bois furent quelque peu endommagées à force de faire trempette sur la route ruisselante. La Marne... Les inondations... quel bon souvenir ! ...

Montpellier, le 2 mars 1995

Claudette Prévot
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