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Dominique Prévot

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28 XII 2015

Le Vol de la Bulle - © Dominique PRÉVOT
Chapitre 2

Holmes, tranquillement installé dans son fauteuil un instant plus tôt, se rua vers la fenêtre, et jeta un coup d'œil rapide au dehors.

- Vite, Watson, nos services sont attendus en bas ! Prenez votre trousse, il me semble qu'un homme vient d'être victime d'un accident.

Holmes me précéda dans l'escalier. Je me précipitai sur ma trousse, attrapai un manteau chaud à la volée et descendis sans prudence les 17 marches de notre appartement, que je ne pouvais m'empêcher de compter depuis une remarque que mon ami m'avait adressée. Le froid était saisissant, mais c'est le singulier spectacle qui attira notre attention. Un petit attroupement se formait autour d'un homme à terre et d'une charrette lourdement chargée. Holmes se pencha sur l'homme qui avait perdu connaissance. Puis il écarta les badauds afin que je puisse l'ausculter.

Allongé par terre, le blessé avait une cinquantaine d'années. Le teint d'une pâleur extrême, il arborait un large hématome sur le front, mais je le reconnus tout de suite.

- Holmes, mais c'est…

- Oui Watson, me coupa-t-il. C'est un homme durement choqué. Conduisez-le chez nous ! Madame Hudson, cria Holmes, aidez le Docteur Watson !

Je trouvai Holmes bien cavalier d'appeler notre logeuse pour m'aider à transporter le pauvre homme. De son côté, il s'approcha d'un gamin qu'il ne me semblait pas avoir déjà vu. Je le vis donner une pièce au garçon puis s'approcher de la charrette pour l'examiner de manière minutieuse. Madame Hudson m'aida à porter l'homme jusqu'au fauteuil près de la cheminée, celui d'ordinaire réservé à nos visiteurs. Elle s'éclipsa ensuite et revint rapidement avec une couverture et une bassine d'eau. J'apportai les soins au blessé dont le visage se détendit. Il ouvrit un instant les yeux, sourit, et retomba inconscient.

Je ne voulais pas laisser notre homme seul, aussi, plutôt que de descendre rejoindre Holmes, j'observai la rue par la fenêtre. Holmes avait le nez par terre, malgré la froidure et la saleté. Bien que ne l'entendant pas depuis notre salon, je voyais bien qu'il maugréait et écartait sans délicatesse les curieux qui posaient les pieds n'importe où. Brusquement, il se releva, arrêta un cab qui passait et disparut de ma vue.

Holmes était certainement sur une piste mais, encore une fois, je ne pouvais laisser notre blessé sans assistance. Madame Hudson revint quelques instants plus tard avec du thé et quelques pâtisseries de sa fabrication et que nous apprécions tant. Je la remerciai et m'installai de nouveau dans mon fauteuil.

Moins d'une heure plus tard, j'entendis Holmes m'appeler tandis qu'il gravissait les escaliers à grand pas.

- Watson, nous partons ! Madame Hudson !

- Monsieur Holmes, le déjeuner est prêt, indiqua Madame Hudson.

- La seule senteur de vos plats contente déjà l'appétit de tout homme, Madame Hudson, répliqua Holmes. Je suis certain que, réchauffés, ils n'en seront que meilleurs. Vous pouvez veiller sur notre blessé là-haut ? Personne ne doit entrer ici, c'est une question de vie ou de mort.

Sans laisser le temps de répondre à Madame Hudson, il déposa une sacoche dans le salon, puis me traîna jusqu'en bas, où un cab nous attendait. Il referma consciencieusement notre porte d'entrée, laissant de nouveau une consigne de prudence à notre logeuse. Je m'apprêtai à grimper en voiture, tant bien que mal, tout en essayant d'enfiler mon manteau et de retenir mon chapeau.

- Nous partons à pied Watson, dit Holmes tout en me retenant. Allez Toby, viens ! lança-t-il.

Le fidèle Toby, qui descendit alors du cab, n'avait pas embelli. C'était probablement le chien le plus laid que j'ai vu. Néanmoins, il accordait son affection sans retenue et, surtout, son flair ne connaissait aucun équivalent dans Londres, ni probablement dans le Royaume. Holmes paya le cocher et le regarda s'éloigner.

- Maintenant, l'affaire commence, Watson !

- Et si vous preniez le temps de me dire de quelle affaire il s'agit, Holmes ?

- Tout en marchant, si vous le voulez bien. Je crains que la piste ne soit déjà tellement ténue ! me répondit-il.

Il s'agenouilla, enleva une bâche maintenue au sol par deux fortes pierres.

- Personne n'y a touché ? demanda-t-il à un petit vendeur de journaux qui ne semblait pas trop s'occuper de vendre les dernières éditions.

- Personne, m'sieur ! J'suis resté là sans bouger. J'ai même pas vendu un journal, précisa le gamin d'un air qui en disait long.

Holmes tira une pièce qu'il tendit au jeune vendeur.

- Merci, tu peux y aller.

Dès que le gamin fut parti, Holmes ajouta, malicieusement :

- Tout à fait la trempe d'un petit Irregular… une bonne recrue probablement… Mais pressons ! Toby !

Le chien savait ce qu'on attendait de lui. Il renifla le sol, regarda Holmes, comme pour attendre une confirmation de sa part, huma le sol à nouveau et partit, truffe à terre, en quête d'une piste. Laissant Toby nous conduire, je profitai de ces instants de marche pour questionner Holmes.

- Holmes, alors, cette affaire ?

Contrairement à ce que je remarquais souvent, il ne se fit pas prier pour expliquer ce qui se passait.

- Vous avez reconnu l'homme blessé, Watson ? demanda Holmes.

- Bien sur, le cardinal Grassi, affirmai-je. C'est un proche du Pape que nous avons rencontré il y a cinq ans environ.

- Au sujet de la mort du Cardinal Tosca.

- Oui, une bien triste affaire, me remémorai-je.

- Eh bien, Watson, figurez-vous qu'il se rendait chez nous, et que sa Sainteté souhaite de nouveau faire appel à nos modestes talents.

Je ne répondis rien, mais ce pluriel m'alla droit au cœur.

- Et vous ne devinerez jamais pourquoi… ajouta-t-il.

- Non, concédai-je, mais c'est important, sans aucun doute.

- Croyez-vous au hasard Watson ? enchaîna Holmes.

- Euh ! Oui, je crois...

- En tout cas, en voici un à ajouter aux nombres des hasards incroyables. Figurez-vous que le cardinal venait nous demander de retrouver… la Bulle du Pape Grégoire XIII qui institue le calendrier appelé, en son honneur, calendrier grégorien. C'est celui utilisé de nos jours Watson, et dont nous parlions ce matin !

- Euh… Holmes ? Vous voulez dire que nous devons rechercher un vieux manuscrit dont plus personne n'a besoin et dont la seule valeur est historique ?

- Historique, certainement ! Mais symbolique, bien plus encore ! Il y avait un message du Pape dans la sacoche du cardinal Grassi, que j'ai trouvé auprès de lui après son accident. Le texte du message est très clair à ce sujet : le vol de cette Bulle est autant une attaque contre Sa Sainteté que contre ce calendrier dont certains pensent qu'il ne convient pas et devrait être réformé.

- Mais enfin, qui voudrait faire une chose pareille ? demandai-je.

- Je vous rappelle que la majorité des hommes qui vivent sur notre planète n'utilise pas ce calendrier. C'est un enjeu de pouvoir : celui qui impose sa chronologie domine l'esprit des hommes. Doit-on admettre comme origine du calendrier celle des chrétiens, des juifs, des musulmans, ou d'autres encore ? Une audience est prévue le jour de l'Épiphanie pour débattre de ce sujet, à Rome. Le Pape doit absolument être en possession de ce document pour le produire, comme cela se fait depuis des décennies lorsque ces discussions ont lieu. Nous avons l'embarras du choix concernant les coupables, Watson. Mais ne présageons pas de la culpabilité de quiconque avant de connaître les faits, et leurs explications. Et les faits sont simples : avant que le cardinal ne puisse nous rencontrer, on a attenté à sa vie.

- Une agression en pleine rue, devant chez nous ! m'exclamai-je.

- Oui, Watson. Un cab lancé à toute vitesse a tenté de renverser la cardinal. Malgré la confusion, quelques témoins sont formels : il ne s'agit pas d'un simple accident, le cab roulait beaucoup trop vite et le cocher était masqué.

- Et où nous mène Toby ?

- L'attentat ne s'est pas déroulé comme les agresseurs l'avaient prévu. Tout d'abord, ils ont mis leur plan en action à Baker Street : ils n'ont pu le réaliser plus tôt. Ensuite, il ne fait aucun doute que le cardinal aurait dû mourir, et que sa sacoche, qui contenait une lettre du Pape qui nous était destinée, devait disparaître. Voici un fiasco qui va nous servir Watson ! Lors de l'accident, la charrette que vous avez vue devant chez nous a sauvé la vie du cardinal, gênant les tueurs et les empêchant de mener à bien leur triste dessein. Mais de plus, une partie de sa cargaison est tombée, et s'est répandue sur la route… et la roue arrière du cab de nos agresseurs a roulé dessus, Watson ! Voilà où nous mène Toby : au cab des voleurs.

- Sacré Toby ! Que suit-il comme odeur ? ajoutai-je toujours surpris de l'ingéniosité des malfrats, mais plus encore de celle de mon ami.

- De la badiane. Condiment de cuisine, la badiane est source d'une fragrance forte et reconnaissable entre toute.

- Oui, bien sûr Holmes, la badiane…

- Plus connue peut-être sous son appellation commune d'anis étoilée. Vous ai-je déjà parlé des 127 parfums les plus marquants que je suis en train de réunir au sein d'une monographie ? Ah ! nous y voilà, je crois bien, ajouta Holmes en pressant le pas.

Le froid et la marche forcée ravivèrent ma blessure à la jambe, souvenir désagréable d'Afghanistan, mais je ne concédai pas un pouce à mon ami.

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Dominique Prévot
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