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28 XII 2015

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Ecole, amour et échanges

As-tu déjà observé une cour de récréation, quand la porte s'entrouvre ? C'est une volée de moineaux pressée de picorer quelques miettes avant de s'envoler. Vite, vite de petits groupes se forment. Le matin, on n'a pas le temps de se bagarrer. On a des choses importantes à se dire, des choses importantes à faire... On traite des affaires, des transactions bien plus sérieuses qu'à la bourse de Paris. C'est l'heure des échanges convenus la veille. C'est un troc auquel les grandes personnes ne comprennent rigoureusement rien... et même rien du tout, ça c'est sûr... Elles ne pensent qu'à l'argent...

Benjamin est donc venu ce matin avec le magnifique robot qui tue tout sur son passage. Ce robot, il l'a eu pour Noël. Il est donc neuf. Il l'échange à Cédric, contre un sac de billes. Des billes ordinaires, même pas des calots multicolores ! C'est désespérant.

A cinq heures, la maman de Benjamin vient expliquer ce qui s'est passé. La Maîtresse consciente que l'heure est grave appelle ses deux élèves. Immédiatement Cédric veut redonner le robot à son copain. Mais, Benjamin, lui, n'en veut pas de ce robot. Comment fera-t-il demain pour continuer la partie de billes commencée ce matin ? La Maman essaie de faire comprendre à Benjamin buté que cette poignée de billes ne vaut rien du tout ; que le robot est un cadeau, qu'elle l'a payé très cher. La Maîtresse a alors une idée pas très avouable... Ecoute, Benjamin, dit-elle, à la fin de l'étude je te donnerai... ( elle joint ses deux mains en forme de petite cuvette ) je te donnerai mes deux mains pleines de billes. Es-tu d'accord ? La Maîtresse a fait là une curieuse promesse. Les billes qui trônent dans le grand bocal, sur son bureau, ne sont pas à elle. Toutes les billes qui tombent des poches ou des cartables décousus aux angles, sont confisquées. C'est la règle dans cette classe. Mais cette Maîtresse-là est de mauvaise foi, elle donne ce qui n'est pas à elle. La pauvre est bien malade, elle a attrapé un virus très dangereux, celui des échanges.

Cette curieuse Maîtresse participe à des échanges bien plus graves et bien plus sérieux que tous ceux qui peuvent se produire dans une cour de récréation. Elle est volontairement comme les trois petits singes de la foire aux ânes : elle ne voit rien, elle n'entend rien, elle est muette...

Tous les élèves depuis leur entrée en maternelle, tombent amoureux. Trois garçons veulent être assis à côté de cette adorable blondinette. La moitié de l'effectif féminin de cette classe trouve que ce caïd de Frédéric est digne d'attention. C'est comme ça, on n'y peut rien.

Alors, bien sûr, avec une Maîtresse sourde, aveugle et muette, il se passe de drôles de choses dans cette classe. Par exemple : Tu crois qu'elle va chiper le mot d'amour qui, parti du fond de la classe, côté cour, traverse en diagonale pour arriver à la première table, côté couloir ! Non ! Elle se contente de rétablir le calme car chacun lit les petits mots écrits dans une orthographe phonétique ravissante avant qu'ils n'atteignent leur destinataire !

Ce qui intéresse la Maîtresse ce matin, c'est de faire une bonne leçon de lecture et que tout le monde enregistre bien le nouveau son. Elle veut de la lecture ordinaire, des histoires gentilles, avec des enfants gentils, des familles unies, avec un chat malicieux et un bon gros chien tendre. Tout est si bien, tout est si parfait. Elle se démène. Elle s'agite, elle fait du théâtre permanent. Elle voudrait bien rendre vivante cette histoire à laquelle elle ne croit pas plus que les enfants.

Dans ce cours préparatoire, sur vingt-cinq enfants, tu as cinq enfants de mères célibataires, dix enfants de parents divorcés, parfois remariés, parfois en ménage, avec des demi-frères et des enfants de l'autre partenaire. Tu as aussi deux enfants de la D.D.A.S., difficiles et ombrageux. Et que tu me crois ou non, sur les douze couples restants, la maîtresse a reçu pendant le premier trimestre deux mamans en larmes qui avaient besoin de faire des confidences.

Alors les belles histoires du livre de lecture intéressent très moyennement les enfants. Et si les petits sont heureux avec leurs mots d'amour et bien qu'ils le soient ! Hélas ! Dans une classe il y a parfois des " teigneux ", jaloux de la tendresse échangée. Alors, ils confisquent le mot et l'apportent sur le bureau, sans rien dire. Mais la Maîtresse sait que cette correspondance ne lui est pas destinée. Elle ne lit pas le billet. A l'heure de la récréation, une main raflera le mot qui retrouvera automatiquement sa destination.

La correspondance amoureuse perturbe certes la classe, mais que dire des échanges ou plutôt des dons d'objets divers. Ces dons, contrairement à leur nom, ne sont pas totalement gratuits. Je te donne une petite chose, je te donne une très grosse chose mais tu me fais un beau sourire, mais tu viens jouer avec moi à la " récré ". Il y a deux sortes de dons.

Si Françoise donne une bricole à sa " copine " assise à côté d'elle en classe, c'est simplement parce qu'elles s'entendent bien, parce que les mamans se connaissent et qu'elles se voient régulièrement en dehors de l'école.

Si Joseph en plein milieu du cours de " maths " fait passer quelques billes à Nicolas, assis trois tables derrière lui, c'est parce que ce sont deux inséparables que la Maîtresse a séparés pour indiscipline et bavardage permanents.

Maintenant, si Julien offre sa boîte de trente-six feutres tout neufs à Charlotte, c'est qu'elle est adorable. " Et je vais te dire, Maîtresse, elle est même plus belle que la blonde qui joue Victoria dans Santa Barbara. Tu la connais, toi Maîtresse, Victoria ? "

Et là, la Maîtresse ne pourra rien faire du tout !!! Tous les jours le contenu du cartable de Julien passera dans celui de Charlotte consentante. Jamais la petite Charlotte ne mangera ses trois délicieux goûters que sa Maman lui prépare avec tendresse. Il y a le goûter de dix heures, celui de trois heures et celui de cinq heures. Julien est menu, il a aussi ses propres goûters, mais cela va de soit, les goûters de Charlotte sont infiniment plus délicieux... Il est généreux, Julien, il donne ses goûters à ses trois meilleurs copains.

Et dans toute la classe se lient de tendres liens. Et comme chez les adultes, il y a des drames, des séparations, des réconciliations. Les Mamans attentives pensent que leurs petits couvent la grippe ou qu'ils ont attrapé les rougeoles et varicelles qui " traînent " en ce moment à la maternelle. Elles ne connaîtront pas les chagrins d'amour de leurs enfants, ils ne se confieront pas. Et si aujourd'hui Alexis fait un travail de " cochon " la maîtresse ne dira rien, elle a senti le drame passer.

Mais le drame dépasse le cadre de la classe. Quand la Maman de Robert en a assez de voir disparaître le joli taille-crayons en forme de voiture de course, quand la règle qu'elle lui a rapportée de Tahiti est manquante, quand c'est la troisième boîte de feutres et la quatrième boîte de crayons de couleurs qui ne reviennent pas à la maison le soir, elle explose et c'est bien normal !

Alors, elles se font belles, les Mamans ; elles préparent leurs arguments et elles vont trouver... non pas la fautive Maîtresse, mais Madame la Directrice. Elles en réfèrent au Chef ! Voyez-vous, Madame X. est bien négligente. Il s'en passe des choses dans cette classe ! On vole les affaires de mon petit Robert pendant les cours !

Et Madame la Directrice parle avec gentillesse et diplomatie : à la Maman bien sûr, qu'elle calme et qu'elle rassure. Puis elle expliquera avec doigté à sa vieille adjointe farfelue qu'il vaudrait mieux pour le bon renom de l'école qu'il n'y ait pas trop de plaintes des Parents.

Mais cette Maîtresse-là, n'a jamais pu mettre son cœur sous le paillasson en entrant en classe. Il y a eu le jour où faisant une magnifique leçon sur le r., la petite Pauline a trouvé une " belle " phrase : " mon père s'est barré et on ne l'a pas revu ", puis a éclaté en sanglots. Adieu, la leçon modèle ! La Maîtresse a pris Pauline sur ses genoux et lui a dit plein de petites choses tendres et bêtes. Et la classe a vite sorti le cahier de dessin et s'est fait oublier... Comme ils savent être gentils...

IL y a eu le jour où cette Maîtresse-là prévoyait une leçon de mathématique, dynamique et sympathique, où toute la classe aurait tout compris d'un seul coup. On avait sorti les boîtes de jetons, les bûchettes. Elle expliquait bien et les enfants comprenaient : je prends neuf bûchettes vertes, je cherche une bûchette rouge, et hop ! Je les attache ensemble avec mon élastique ! J'ai dix bûchettes ou... une dizaine. J'en étais sûre ça marcherait tout seul. Mais le petit Jérôme malaxait tous ses jetons et toutes ses bûchettes comme on mélange le beurre dans une purée. A lui seul il faisait un bruit énorme qui troublait une si belle leçon. Alors elle se met accroupie devant la table de l'enfant et réexplique pour lui seul. Mais Jérôme n'écoute pas. Un si bon élève... Qu'est ce qui se passe ? Tout à coup d'un revers de main, il balaie tout et les objets se dispersent sur le sol. Et lui, toujours gentil et d'humeur égale crie : " Je sais ce que c'est une dizaine. Hier soir Maman a dit à mon nouveau Papa, T'es le dixième mais une dizaine comme toi ça vaut la peine ! ". Et Jérôme pleure, il suffoque, il ne sait plus où il en est avec tous ses " pères " La Maîtresse se relève et le prend dans ses bras, elle le câline et tente de lui faire oublier son désarroi.

Mais toutes les Mères du monde pourront venir se plaindre, cette Maîtresse-là encouragera toujours les dons et les échanges qui viennent du cœur... Et un petit crayon de couleur contre un petit goûter c'est tellement merveilleux... qu'elle ne l'interdira jamais. Attention, pas tous les crayons ni tous les goûters, c'est bien compris ?

Montpellier, le 6 janvier 1995

Claudette Prévot
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